Marc Sassier

Première rencontre 2020, et non des moindres, je vous propose une petite interview de Marc Sassier, responsable production des vénérables rhums des Plantations Saint James en Martinique et président de l’AOC.

Pouvez vous vous présenter et nous expliquer votre cheminement pour arriver à ce poste si important chez Saint James ? Comment passe t on de la viticulture au rhum ? 🙂

Il y a un fil conducteur qui est la microbiologie, étudiée depuis mon bac, puis ensuite passage du laboratoire aux fermentations avec la transformation d’une matière première, le sucre en alcool.

Ayant obtenu mon diplôme d’ingénieur agronome en viticulture-œnologie et celui d’œnologue à Montpellier, je devais alors partir pour mon service militaire en Inde avec Canard-Duchêne. Le poste a été abandonné et je suis alors allez vers les DOM et ce n’est que quelques jours auparavant que j’ai su que j’arrivais en Martinique.

Et comment avez vous « atterri » chez Saint james ?

Sans avion 😉 (Marc, 1 point)

Saint James regroupe plusieurs marques historiques de rhums agricoles dont les mythiques Rhum Bally. Comment gère t on cet héritage ? Est ce que des procédés propres (levures, colonne, canne etc) à Bally sont mis en place chez Saint James où, avec le temps, le tout s’est « standardisé » ?

Dès le départ du transfert de production vers Saint-James, les rhums Bally ont été fabriqués en respectant leur identité. Puis ensuite ce fut le rachat de la marque et des stocks.

La grande différence est liée au climat, composante essentielle de notre terroir, mais ici par le choix d’une production lors du Carême (période sèche) avec des cannes très mûres et avec des degrés de coulages dédiés.

Ressortent des rhums plus fruités et plus suaves qui donneront toutes ses caractéristiques à la marque.

Il n’y a pas standardisation, bien au contraire, Saint-James s’exprime par de la canne fraîche pour ses rhums blancs classiques contre de la canne mûre pour Bally.

Et en vieillissement, avec un emploi plus prédominant de chêne français ainsi qu’un degré de mise en fût différents qui amènent à une extraction spécifique de notes fruitées et de rondeur pour Bally, contre des notes empyreumatiques et corsées pour Saint-James…

Nous avons droit cette année à un Bally 18 ans pour Hubert Corman, ainsi qu’un Saint James 2003 pour la confrérie du rhum. Pouvez vous nous parler un peu plus de ces deux productions ? 

Hubert Corman possède l’une des plus grandes collection de Bally, notamment de vieux packaging dont un qui est repris par cette nouvelle cuvée, brut de fût, qui a été retenue parmi trois choix proposés entre 15 et 18 ans pour rendre hommage à la marque et à ses passionnés.

Pour la confrérie du rhum, nous avions déjà fait une sélection avec du Fleur de Canne vieux, mais cette fois cela s’est également porté sur un brut de fût, mais avec la particularité pour Saint-James d’être resté en fûts de chêne français… ce qui a sans doute été en sa faveur pour être retenu par Jerry et Benoit !

Qu’est ce que cela fait de laisser partir un des plus vieux Bally mis sur le marché ? On parle d’une Bally de presque 19 ans si je ne m’abuse ?

Après plus de 15 ans de fûts, tous les rhums n’ont pas le même comportement et beaucoup sont très tanniques car le bois a pris le dessus.

Les très vieux rhums avec de tels âges sont généralement mélangés pour la cuvée Héritage.

Ici avec un 18 ans (presque 19 à quelques mois près) c’est une totale nouveauté chez Bally, pour montrer également que les Bruts de fûts conviennent bien à la marque de par sa rondeur naturelle avec ici une extraction toute particulière liée au millésime 2000.

Hormis Velier l’année passée, ces choses sont plutôt rares chez vous, comptez vous continuer ce genre de choses ou cela restera des « one shot » ?

La demande de séries particulières dédiées est croissante, ce sont comme en bande dessinée des « one shot » et « tirés à part ». Cela demande néanmoins beaucoup plus de temps que pour des grandes séries et un travail plus attentionné pour garder un maximum de produit et de ses qualités intrinsèques.

Notre stock de plus de 15 000 fûts nous permet de réaliser chaque cuvée de manière unique et donc dédiée spécifiquement, avec pour nous une définition du brut de fût la plus naturelle. A savoir un même fût avec le même rhum depuis le remplissage et ce, sans ouillage ni réduction en cours de vieillissement.

Mais nous allons également pensez à nous l’année prochaine, mais cela restera une surprise. Pour le reste cela sera avec parcimonie, car il faut également fournir des tirages biens différenciés et ne pas se perdre dans la multitude.

L’année 2019 aura été plutôt compliqué par la culture de canne à sucre en Martinique, Comment cela s’est il passé pour Saint James ? Ne redoutez vous pas de gros soucis pour l’avenir avec les demandes en rhum de plus en plus importantes ?
Ne faudrait il pas ajouter des parcelles à l’ AOC ?

L’absence de solutions de désherbage est notre enjeu majeur de maintien des plantations. La récolte 2019 a heureusement été en partie sauvée par l’un des meilleurs rendement en alcool de cette dernière décennie, mais il nous manquait près de 15%. Fort heureusement notre stock de fûts va nous permettre de répondre aux besoins, mais pas trop d’augmenter nos quantités de futailles pour cette année.

Les distilleries sont à l’origine de l’augmentation des surfaces ces dernières années pour répondre à la demande. L’aire A.O.C. se heurte à des zones non cartographiées par le passé pouvant ouvrir à de nouvelles surfaces, c’est pourquoi une révision totale de l’aire a été engagée.

Justement l’enquête publique vient d’être lancée en Martinique sur cette révision approuvée par le Comité National de l’I.N.A.O. Elle a non seulement étendues des zones jusque-là ignorées mais aussi repris des zones anciennes pour ajuster au mieux le foncier agricole à la culture de la canne et répondre aux conditions qualitatives en A.O.C.

Au sujet de l’AOC rhum agricole, comment voyez vous l’avenir ?
Pensez vous qu’il faudra changer certaines choses ou élargir cette dernière ?

Force est de constater que la démarche entreprise dès 1973 et reconnue par le décret de 1996 a porté ses fruits. Ainsi nous sommes usurpés dans divers pays, récemment au Mexique… où notre A.O.C. est heureusement défendue par l’état français.

Mais c’est aussi le terme « agricole » qui est à défendre, même en Europe comme on a pu le voir quelque fois.

Malheureusement les contraintes européennes ou françaises ne sont guère appliquées ou applicables aux rhums venant d’autres pays, nous plaçant souvent en concurrence déloyale et avec le succès de notre A.O.C. « Rhum Agricole Martinique », nous sommes actuellement devant une question d’orientation, faut-il ouvrir ou non les conditions de l’A.O.C. ?

Il faut donc faire attention entre « ouvrir » les conditions et « libérer » l’usage, car c’est souvent ce que l’on entend derrière le mot d’ouverture.

Ainsi le mot Martinique et ses allusions dont certains voudraient élargir le champ d’application et de vision, mais cela découle du décret de 1921 ou des règlements européens successifs…

Entre le dernier changement de position des fraudes à interdire « Martinique » même dans l’adresse d’un rhum non AOC bien que toléré jusque-là et mettre « Martinique » sur tout produit issu ou passé par l’île il y a une grande marge de manœuvre.

On ne pourra exiger une protection stricte d’un côté et en contrepartie utiliser à façon l’appellation, c’est un équilibre à trouver et dont dépend la notoriété ainsi que la crédibilité de notre A.O.C..

Mettre « Martinique » sur la bouteille ne suffit pas pour en faire un « Rhum agricole A.O.C. Martinique ».

Rappelons que les conditions du Cahiers des Charges correspondent à une description des conditions usuelles de production et du respect des règlements en cours.

D’ailleurs en 2009, nous avons changé quelques règles de production (degré limite de fermentation, durée avant mise en consommation…).

Nous envisageons quelques modifications également, notamment sur les méthodes traditionnelles avec le « finishing » qui n’avait pas été prévu dans le règlement européen pour les rhums…

Donc en gros, les fameux finish de HSE pourraient prendre une appelation A.O.C. ? Comment gérer cela lors des dégustations à l’aveugle ? Car quand on déguste le Islay Finish, il n’est pas simple de détecter directement qu’il s’agit d’un rhum agricole (enfin, à mon niveau 🙂 )

Les dégustations à l’aveugle sont là pour caractériser si le rhum est A.O.C. Martinique ou pas, donc s’ils conservent ses critères organoleptiques.

Mais parfois le finishing peut être plus marqué alors le jury peut considérer que la typicité Martinique n’est pas assez présente, ce qui est déjà arrivé, alors le rhum est étiqueté en IG Antilles fr.

D’ailleurs, vous arrive t il d’avoir de grosses surprises lors de « l’élimination » de produits proposé à la dégustation pour l’A.O.C. ?

Les distilleries, depuis la mise en place de l’A.O.C., sont de plus en plus vigilantes sur leurs produits et les ajournements représentent moins de 2% des rhums présentés (soit 100% des rhums commercialisés, unique en France).

Ce sont le plus souvent de petits défauts de process, parfois du caramel trop marqué et avec les finish de vins c’est parfois de la « volatile », sinon sans défauts ce peut-être des finishs trop marqués.

Quel est votre regard sur le monde actuel du rhum?

Le monde du rhum est toujours en effervescence, avec toutefois un décollage plus rapide de produit comme Capt’ain Morgan.

Produits qui pour autant ne sont pas des rhums, mais qui surfent avec des épices et du sucre sur des marchés identiques.

Là où dans le monde la diversité du mot rhum est tiraillée entre pur jus de canne et spicy… mais il est vrai que l’on voit s’ouvrir le monde des « pur jus de canne », dont la notoriété s’accroit avec des productions à travers de nombreux territoires pourtant peu coutumiers du fait.

Quel serait selon vous la plus belle réussite de la distillerie Saint James depuis qui vous occupez ce poste ?

Question qui appelle loin s’en faut à la modestie.

Nous avons mené une enquête récemment auprès de nos visiteurs où il ressort que la bouteille carrée est notre identité, tout en gardant une image moderne pour la marque, pas une ride après plus de 250 ans !

Personnellement, comment dégustez vous votre rhum ? Quels sont les profils que vous recherchez ?

Je déguste toujours un rhum pur, sans citrons, ni sucres… d’ailleurs pour le Gault & Millau j’ai été surpris de découvrir des défauts très nets dans des produits du commerce, mais aussi agréablement que par des produits très variés et même en rhum de sucrerie, avec des notes organoleptiques propres à certaines sociétés.

J’aime découvrir de nouveaux produits, mais malheureusement sur les salons je n’ai guère le temps et je préfère le faire tranquillement, plutôt qu’au pas de charge 😉

Quand je déguste un rhum, j’attends du produit la magie de l’invitation du mot « rhum », de sa matière première mais aussi de l’exotisme qui s’y cache, d’une invite au voyage. On va encore parler de mon côté « puriste », car ce n’est pas pour boire une liqueur, une « sauce » ou un autre spiritueux…

Pour ce qui est des rhums, en blanc je serai plutôt agricole et pour les vieux j’aurai une préférence pour des rhums faits dans de la vieille futaille, où le bois/sous-bois est en filigrane et non dominant, assez rond et avec une bonne complexité qui donne un goût de « reviens-y »…

Grand merci Marc, et bien vite la suite et la surprise du coup !! La cuvée à Roger part II ? 🙂

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