Jerry GITANY

Ce jour marque le retour d’un format que j’affectionne tout particulièrement sur le blog : l’interview ! Mine de rien, cela faisait un petit moment que je n’avais pas pris le temps d’aller déranger quelqu’un avec mes sempiternelles questions, parfois un peu curieuses, parfois franchement naïves, mais toujours posées avec bienveillance. Car oui, je ne suis qu’amour et paix 😇

Et comme il faut bien un volontaire pour relancer la machine, c’est notre ami Jerry qui s’y colle ! Hé oui, Jerry et moi, ce n’est pas une rencontre de la dernière pluie. Cela fait maintenant quelques années que nos chemins se croisent régulièrement : sur les salons, lors de dégustations, pendant des voyages… et, bien sûr, au cœur des interminables (mais toujours passionnants) enregistrements du Single Cast que j’ai eu l’occasion de faire en sa compagnie.

Et puis bon, interroger le gars qui a inventé le rhum (ou presque) c’est pas rien, hein ? 🙂

Bonne lecture à tous, et un grand merci à Jerry d’avoir joué le jeu avec autant de simplicité !

Bonjour Jerry, pourrais-tu rapidement te présenter, pour les quelques personnes qui ne te connaissent pas encore ?

Né à la Martinique sur les terres de SAINT-JAMES à l‘époque où la distillerie se situait sur les hauteurs de Saint-Pierre et mon grand-père gérant. Toute mon enfance a été bercée par la culture rhum car je passais mes vacances à Pécoul à 50 mètres de la distillerie DEPAZ où mon oncle était économe.

Mais je te rassure je ne buvais pas de rhum, même si j’ai commencé à préparer des punchs (on ne disait pas ti’punch à cette époque) dès l’âge de 12 ans, pour eux quand ils jouaient aux dominos.

Diplômé en Sciences Politiques et avec un MBA obtenu à New York University j’ai fait carrière dans la banque à Paris et à La Martinique jusqu’à ce que je rencontre Christian de Montaguère qui venait d’ouvrir sa boutique, et qui,voyant que je m’y connaissais en rhum, m’a demandé de l’aider. A cette même époque, je fais la connaissance de Benoît Bail avec qui va débuter une série d’aventures.

Je suis le président de la société Anteillhas organisatrice du Bordeaux Rhum Festival. Comme tu le sais j’ai été l’un des animateurs du podcast Le Single Cast, intervenant à La Kedge Business School pour le cours sur le rhum dans le cadre du Master Vins et Spiritueux , co- auteur de l’ouvrage Un Rhum averti en vaut deux et suis juré dans de nombreux concours.

Tu es, avec Benoît Bail, le fondateur de la confrérie du rhum qui aura fait énormément pour le monde du rhum francophone. Depuis, bon nombre d’autres groupes ont fleuri ici et là, quelle serait sa « mission » aujourd’hui ?

Il faut rendre à César ce qui lui appartient, le fondateur de La Confrérie du Rhum c’est Benoît.

Benoît avait créé un groupe qui s’appelait Le Ministère du Rhum et s’est fait « attaquer » par Ministry of Rum, il a donc dû changer le nom du groupe en 2013 et m’a demandé de l’épauler.

La « mission » du groupe demeure toujours la même, le partage des connaissances, la divulgation d’informations, même si depuis quelques années cela devient plus une vitrine de ce que l’on possède.

Comme tu le soulignes beaucoup de petits groupes ont fleuri, mais on s’aperçoit aussi que bon nombre de ces groupes sont beaucoup moins actifs.

Quand as-tu senti que ce groupe passait le stade de simple groupe d’amateurs, pour devenir une petite institution ? Quels sont tes plus beaux souvenirs liés à cette aventure ?

Il me semble que c’est lorsque le groupe a atteint 10.000 membres, ce qui à l’époque nous paraissait énorme.

J’ai en effet de nombreux souvenirs et difficile de citer les plus beaux, mais je dirais mon premier atelier dégustation réalisé au Luxembourg à la demande de Benoît, une présentation d’une de nos cuvée chez Hubert Corman en Belgique, un weekend où nous étions les invités d’Alexandre Gabriel au Château Bonbonnet (Plantation) et bien sûr nos voyages-visites des distilleries aussi bien dans les Caraïbes que dans l’Océan Indien.

Bon nombre de cuvées ont vu le jour avec ce groupe, quelles sont celles dont tu es le plus fier et comment vois tu le prochain rythme de celles-ci ?

A ce jour, nous avons réalisé 23 cuvées, ce serait délicat de dire celle dont je suis le plus fier au risque de faire des jaloux. Mais je pense que la plus mémorable demeure la première car nous l’avions embouteillée nous-mêmes et qu’elle s’était vendue en moins de 10 minutes via le groupe !

Nous étions des précurseurs. Et c’est à partir de ce moment que les producteurs de rhum, qui scrutaient ce qui se passait sur La Confrérie, nous ont approchés pour réaliser des cuvées avec notre logo sur la bouteille.

Je pense que le rythme devrait ralentir, une cuvée par an, car comme tu le sais nous ne sommes pas embouteilleurs et il faut que notre sélection soit non seulement une exclusivité proposée par une distillerie mais aussi que celle-ci nous plaise, ce qui n’est pas toujours le cas.

Mais rien n’est figé !!!

Avez-vous déjà rencontré des difficultés à vous mettre d’accord sur certaines cuvées ?

Nous n’avons pas eu de difficultés à sélectionner les cuvées . Il y a eu une ou deux fois où nous avions de légères différences d’appréciation chacun ayant sa préférence, mais nos goûts sont très proches, et dans ces cas le plus souvent Benoît me laisse la décision finale. 

Tu as aidé à la fameuse boutique de Christian de Montaguère, malheureusement fermée cette année. Le marché du rhum est mis à rude épreuve depuis quelques mois et les bouteilles partent nettement moins vite qu’avant. Quel est le(s) phénomène(s) qui aurai(en)t provoqué cela selon toi? Et quelles seraient les solutions ?

Ce phénomène ne concerne pas que le rhum, mais les alcools de façon générale et en particulier les spiritueux dont le rhum. Cette morosité du marché est dû selon moi à plusieurs facteurs : l’inflation, la conjoncture géopolitique qui fait que le consommateur face à l’incertitude préfère épargner que dépenser et, phénomène, non négligeable, la montée des non-alcools.

Les solutions, si je les avais je ne les donnerais pas mais j’irais les vendre aux producteurs et distributeurs !!! (RIRES).

Je dirais tout de même que le prix devient déterminant.

Quel conseil donnerais-tu à un jeune professionnel qui veut s’engager dans le monde du rhum aujourd’hui ?

A un jeune qui voudrait se lancer dans le monde du rhum, tout dépend du projet qu’il a :

S’il s’agit de créer sa propre marque, je lui dirais d’y réfléchir à 2 fois car la période ne me semble pas propice et qu’il y a eu pléthore de nouvelles marques ces dernières années et que beaucoup souffrent.

S’il s’agit d’une activité commerciale je lui dirais de viser une grande marque ou un grand distributeur afin d’y faire ses premières expériences.

Quelles sont les principales différences entre le public amateur de rhums d’aujourd’hui par rapport à une dizaine d’années ?

Je dirais que le public amateur de rhum d’aujourd’hui me parait moins passionné, plus versatile, mais il s’agit là d’une généralité.

Penses-tu que les AOC et IGP pourraient être des freins à l’innovation, ou au contraire des garants nécessaires.

Je pense que les AOC et les IGP sont des garants nécessaires. Cela n’empêche pas les innovations, puisqu’il s’agira alors de produire hors AOC ou hors IGP, ce qui est déjà le cas, et ne nuit pas au succès commercial.

Les parcelles de cannes AOC sont limitées en Martinique, mais le nombre de maisons grandi assez bien avec de nouveaux arrivants ces dernières années. Penses tu que cela puisse à terme devenir problématique, et si oui comment pourrait-on solutionner ça ?

En effet ces dernières années on a vu l’arrivée de nouveaux acteurs en Martinique : Baies des Trésors, Braud & Quenesson , HBS pour ne citer qu’eux qui sont des propriétaires de parcelles de cannes à sucre.

Ces cannes ne sont plus vendues aux autres distilleries donc forcément cela a un impact sur la production de certains et sur le prix du rhum en général, à mon avis.

Imaginerais tu l’importation de canne venant d’ailleurs, d’autres îles très proches bien entendu ?

Pour moi il est inconcevable d’importer de la canne d’ailleurs dans le cadre de l’AOC et même hors AOC, car contrairement à la mélasse, la canne ne voyage pas .

Pour avoir un bon rhum agricole il faut du bon jus de canne fraîche, la canne doit donc avoir « les pieds dans la terre et la tête au moulin« , c’est à dire qu’en moins de 24h après la coupe elle doit être à la distillerie.

Comment vois-tu l’avenir du rhum, et plus particulièrement des rhums agricoles ?

Le rhum a encore de l’avenir, car bon nombre de gens continuent à le découvrir, Je m’en aperçois lors des Salons de Rhum. Et le rhum agricole encore davantage car de plus en plus apprécié à travers le monde , pour preuve ces nouveaux producteurs de rhum pur jus de canne, que ce soit en Asie (Japon, Cambodge, Thaïlande…) aux États-Unis et même …..à la Barbade.

Tu as dégusté des centaines de rhum. Comment arrives-tu encore à te laisser surprendre ?

Je n’emploierais pas le mot surprendre, mais ce qui me ravit le plus c’est la finesse et la qualité aromatique de nos rhums agricoles blancs.

Quelle est la dernière bouteille qui t’a vraiment surpris — et pourquoi ? En mélasse et agricole 🙂

La dernière bouteille qui m’a vraiment surprise, et là on peut véritablement parler de surprise, c’est une bouteille de rhum agricole vieux hors d’âge unique concoctée par un célèbre maître de chais, qui connait mes goûts, à l’occasion de mes 70 ans.

Pour la mélasse, ça reste la Cuvée Anniversaire Confrérie du Rhum/Excellence Rhum, L’ Eminente 100% aguardiente.

Cette année se termine l’aventure du Single Cast, émission que j’ai co-animé avec toi, Benoit et le reste de l’équipe, quel souvenir gardes-tu de cette aventure et comment est ce que l’équipe a vécu la fin de ce projet ?

Je garde un excellent souvenir de cette belle aventure qu’a été le Single Cast, et je rencontre beaucoup d’auditeurs qui regrettent cet arrêt.

Ce n’est pas de gaité de cœur que nous y avons mis fin, mais chacun ayant des emplois du temps chargés, n’étant pas pour certain sur le même fuseau horaire, nous avions des difficultés à nous réunir, plus l’épuisement des sujets, ont fait que nous avons pris cette décision. 

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