Retour de notre section « rencontres » avec le récit de ma discussion avec Emmanuel Dron, célébre co-propriétaire du mythique bar « The Auld Alliance » à Singapour.
Bonjour Mr Dron et tout grand merci pour le temps consacré ! Votre nom est généralement hyper connu dans le monde du whisky, ça tombe bien je ne parle pas que de rhum ici 🙂
Vous être le propriétaire d’un célèbre bar à Singapour, The Auld Alliance, bar où l’on peut probablement trouver la plus belle sélection d’anciens spiritueux au monde. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous expliquer votre parcours ?
Je suis né en 1972 et je suis originaire de Villeneuve d’Ascq près de Lille. Je me suis intéressé au whisky par hasard en décembre 1994. On m’avait offert une bouteille de Glenfiddich pour mon anniversaire.
J’avais trouvé cela bon, moi qui buvait peu d’alcool. J’ai décidé d’en savoir un peu plus. J’ai acheté le Malt Whisky Companion de Michael Jackson et surtout avec mon meilleur ami, on a trouvé un bar à Lille qui avait près de 150 bouteilles de single malts.
En trois ou quatre mois on les a tous dégustés !! J’ai encore mes carnets de dégustations de cette époque. Nous avons ensuite décidé d’aller à Londres visiter Milroy’s à Soho qui était a l’époque le temple du whisky.
En 1996, j’ai fait un service civil à l’université où j’aidais des étudiants aveugles. J’avais pas mal de temps libre et accès à des ordinateurs et scanners. J’ai créé une newsletter d’une dizaine de pages, La Part des Anges.
J’ai envoyé le premier numéro à Thierry Benitah de La Maison du Whisky en décembre 1996. Il m’a proposé de la vendre à la boutique d’Anjou.
On s’est rencontré en avril 1997 puis il m’a proposé de rejoindre La Maison du Whisky.
J’y ai travaillé 13 ans, à Paris, à la Reunion puis à Singapour.
En 2010, je suis parti pour ouvrir The Auld Alliance, un bar qui possède aujourd’hui près de 2000 références de Whisky, Rhum, Cognac, Armagnac, Calvados etc.
Si demain je débarque dans votre bar pour m’offrir un beau moment avec un grand whisky, est ce faisable pour un budget « raisonnable » ?
C’était plus facile jusqu’il y a encore deux ans pour les bouteilles légendaires.
J’ai ouvert il y a deux ans, un Bowmore Bouquet 1996 ou un Laphroaig 1967 Samaroli. Autant dire qu’aujourd’hui ce n’est plus possible.
Par contre oui, pour un budget raisonnable on peut encore boire des grands whiskies. J’ai embouteillé l’année dernière un Caol Ila 1982 35 ans de chez Candenhead pour mon bar et il est a mon humble avis vraiment grand.
Ceci dit, j’ouvre toujours beaucoup de belles bouteilles, c’est un peu notre spécialité.
Cette semaine de nouveau au verre on a un Skeldon 1978 Velier et le Caol Ila 1968 50 ans de chez Gordon & Macphail par exemple.
L’écriture de l’ouvrage « collecting Scotch Whisky », véritable bible pour tout amateur de whisky, a représenté 5 ans de travail, que j’imagine colossale. Comment vous est venu cette idée ?
Mon inspiration vient d’un livre sur le cigare qui s’appelle ‘An Illustrated Encyclopaedia of Post-Revolution Havana Cigars’ by Min Ron NEE.
Une source incroyable d’informations si vous aimez les cigares vintage. Je voulais juste trouver l’équivalent sur le whisky.
Ça n’existait pas et donc j’ai travaillé sur le sujet, accumulant beaucoup d’informations, de photos, d’interviews etc.
En février 2017, la mort de mon ami Silvano Samaroli m’a beaucoup affecté et la semaine suivante, je me suis mis au travail de rédaction et de mise en page en commençant par les pages sur Samaroli.
Un volume 2 est prévu avec des bouteilles plus récentes je suppose?
Probablement un volume 2 et 3 avec un complément sur les vieilles bouteilles ainsi que les plus récentes oui.
On y trouve notamment plus de 2500 whiskies avec photos et descriptions, mais aussi certains « trucs et astuces » pour reconnaitre les contrefaçons.
Que pensez vous de ce fléau dans le monde du whisky ? Avez vous peur de vous faire avoir éventuellement, les techniques devenant j’imagine de plus en plus pointues ? Quel est pour vous la plus belle « arnaques » ayant existé ?
C’est un sérieux problème qui grossit d’une manière inquiétante. Tous les jours je reçois des messages à ce sujet, non seulement de privés mais surtout de ventes aux enchères.
Il y a bien sur un risque de voir des faux de en plus parfaits. Je dirais qu’en règle général et de part mon expérience, il y a toujours des erreurs dans les faux.
Malgré tout, il est possible en théorie de faire des faux parfaits, surtout sur les bouteilles simples.
Prenez un Caol Ila G&M Connoisseurs Choice des années 1990. Si vous avez une étiquette originale de Ardbeg 1974 de la même série et que vous la remplacez…
Bonne chance pour prouver que la bouteille est vraie ou fausse sans la déguster ! Et puis même en la dégustant, un amateur un peu novice ne verrait pas la différence sans expérience.
La plus belle arnaque reste sans conteste les centaines de fausses bouteilles de Macallan du 19ème siècle revendues à la distillerie. Elle n’y a vu que du feu et a même par la suite embouteillée des “Répliques’ de ces bouteilles qui au final se sont avérées fausses !
Le rhum devenant de plus en plus « hype », le risque de voir débarquer de faux vieux Bally, vieux cadenhead ou autre velier est grand. En avez vous déjà rencontré ?
C’est sûr ! Quid de la Bally 1900 ? Si je me souviens bien lors de ma visite à St James en Martinique en 2014, Marc Sassier m’avait dit que cette bouteille n’avait jamais existé et pourtant on la voit souvent dans les parages.
Les Rhums Velier auront probablement le même problème que les Hanyu Poker Card series (ou il y a une quantité importante de fausses bouteilles sur le marché aujourd’hui).
Des Rhums de qualités, très recherchés et à prix élevés pour certains d’entre eux. Une cible parfaite pour les “fakers”.
De plus la bouteille est devenu standard. Il suffit juste de deux étiquettes à changer en prenant une bouteille à prix faible.
Enfin, presque plus personne n’ouvre les bouteilles rares type Skeldon 1978 (même problème sur les Hanyu) donc pas moyen de vérifier en le dégustant.
Question un peu bateau: avec tous les spiritueux que vous avez eu l’occasion de déguster, si vous ne deviez retenir qu’un whisky et qu’un rhum, lesquels seraient ce et pourquoi ? (j’avais prévenu, c’est vraiment bateau 🙂 )
Oui jamais facile de répondre à cette question mais je dirais sans hésiter pour le whisky, Laphroaig 1970 16 ans embouteillé par Silvano Samaroli.
Pour le rhum, je choisirai pour l’émotion et l’impressionnante fraîcheur le Harewood 1780 Light.
Vous étiez relativement proche de Mr Samaroli, si vous deviez expliquer qui il était et ce qu’il peut représenter dans le monde des spiritueux, quels seraient vos mots ?
Silvano a été sans hésiter l’embouteilleur le plus créatif et il a de plus, embouteillé quelques uns des meilleurs whisky écossais (sans parler du Rhum 1948).
En dehors de quelques bouteilles légendaires, peu de gens ont la compréhension de son immense talent. J’ai entendu des personnes dire qu’il avait de la chance et que c’était facile à son époque !
Ces gens ont une méconnaissance de son héritage. En dehors de la serie ‘As you get It’ en Ecosse, il a été le premier négociant indépendant à embouteiller ses single malts à Cask Strength.
Sa premiere série 100% Samaroli en 1981 s’appellait ‘The Never Bottled Top Quality Whisky Series’ ! Il fallait oser embouteiller des Millburn, North Port ou Coleburn ! Deux, trois ans après ces distilleries fermées pour de bon.
Il est aussi le seul a avoir embouteillé un Port Ellen Cask Strength quand la distillerie était encore en fonctionnement.
Peu de gens savent qu’il dessinait la plupart de ses étiquettes. Les magnifiques aquarelles du Glenlivet 1968, de l’Ardmore 1977, du Springbank 1979 et de tous les Longrow ont été réalisées par Silvano.
Il était d’une créativité incroyable dans ses embouteillages. Prenez l’Ageing Monography, six Springbank embouteillés la même année et tous à 50% à 18 mois, 8 ans, 12 ans, 15 ans , 20 ans et 23 ans d’âge.
L’idée était de voir l’influence du temps passé en fût sur l’évolution d’un whisky. Il a également embouteillé pour le fun des New Filling Malt.
Il a aussi embouteillé en même temps deux Glen Moray 1959 à 46%, l’un vieillit en Sherry Butt (500 litres) et l’autre en Sherry Hogshead (250 litres) pour voir la différence en terme d’influence du sherry sur le whisky par rapport à la taille du fût.
Il a été le premier à utiliser le terme No Age et même à en faire une gamme en 1992, vingt ans avant que les amateurs de whisky commencent à utiliser ce terme pour critiquer l’évolution des embouteillages officiels par les distilleries.
Et puis même sur des distilleries moins spectaculaires, Il a probablement embouteillé les meilleurs Ord, Tormore, Scapa ou Isle of Jura. Enfin il ne s’est pas arrêté au whisky.
Il a embouteillé un cognac Hine 1955 à Cask Strength ce qui n’était pas commun en 1985 et surtout il embouteillé des rhums extraordinaires tel que le West Indies Dark Rum 1948 qu’il considérait comme le meilleur embouteillage de sa carrière.
Avec votre ami de longue date, Hubert Corman, vous avez embouteillé deux fûts sélectionnés par Mr Samaroli. Un splendide Port Mourant parfaitement réduit. Pouvez vous nous raconter cette histoire et ce que représente ce rhum à vos yeux ?
Avec Hubert nous sommes amis depuis la fin des années 1990. Le Port Mourant est une histoire triste car il était sur le point d’être embouteillé par Silvano lorsqu’il est décédé.
Maryse sa femme avait bien d’autres soucis que d’embouteiller des fûts à cette période. Elle m’a proposé de m’en occuper.
On a suivi les instructions laissé par Silvano en terme de degré et type de filtration. On a choisi une étiquette qui soit un hommage à ses premiers embouteillage
Et la qualité de ce port mourant, où la situez vous ? Personnellement c’est probablement le meilleur port mourant que j’ai eu l’occasion de déguster avec le 1985 de Velier.
Oui, je pense pareil.
Avez vous déjà testé le nouveau Diamond et Trois Rivières sélection Hubert Corman ?
Oui bien sur, moi qui suis un grand amateur de cigares, ce sont deux styles de rhum que j’affectionne avec un fin boisé, j’adore.
Comment voyez vous les années futures dans le monde des spiritueux et du rhum en particulier ? Que pensez vous de toutes cette frénésie sur certains embouteillages type Caroni etc ainsi que les prix de dingues auxquels partent certains bouteilles ? Buzz temporaire ou pas ?
Ca fait dix ans que je pense que c’est temporaire au niveau du whisky. Je me suis bien trompé donc je ne m’aventurerais pas sur des pronostiques de prix !
Bonjour,
C’est étonnant et toujours une claque de voir tout ce que j’ai encore à apprendre.
La question sur les faux whiskys et les faux rhums m’a particulièrement parlé. Avec ma récente question sur les rhums trafiqués, abordé la question des spiritueux copier pour la spéculation est encore une problématique importante. Autant ma question est utile pour les jeunes amateurs que la tienne a une grande importance pour les amateurs beaucoup plus avertis qui ont la possibilité de s’intéresser à ces bouteilles de prestige.
J’ai pu goûter deux ou trois rhums de prestige pour le moment, mais je ne me suis pas encore vraiment frotté à ce monde. Je ne sais même pas aujourd’hui si j’achèterai ce genre de bouteilles si j’en avais les moyens. La tentation est forte. Mais ce qui est sur, c’est que je suis aujourd’hui un trop jeune amateur pour m’y frotter.
C’est toutefois toujours un plaisir de lire tes notes de dégustation de ces rhums d’exception.
Au plaisir de te lire.
Ce n’est pas une question d’être jeune amateur ou pas… Moi perso j’ai ouvert mes premiers demerara Velier assez tôt et je peux te dire que j’ai pris une baffe.
Je n’ai peut être pas directement compris ce qu’il se passait, mais avec 70 cl tu as bien le temps pour les découvrir 🙂
Pour ce qui est des faux, le cas Velier est plutôt préoccupant je trouve. En effet les étiquettes sont relativement « simples » et les scellés encore plus basiques.
Je pense que bons nombres de faux vont facilement circuler, une des raisons pour lesquelles je ne compte pas spécialement courir après d’anciennes sorties (en plus du budget bien entendu 🙂 )