Nouvelle rubrique sur le blog avec un premier interview, qui j’espère en amènera d’autres.
Pour cette grande première, l’idée m’est venue assez rapidement de me tourner vers Hubert Corman, personnalité bien connue du monde des spiritueux en Belgique et en plus, un liégeois bien sympa !
Interview réalisé sous le coup de 11 heures…j’en ai donc profité pour apporter un p’tit pommeau du Père Jules, histoire de rendre cette rencontre plus sympa encore. C’est l’occasion, pour moi, ainsi de faire découvrir un calvados à Hubert 🙂
Quelques mots pour les salutations et en 2-3 minutes, nous rentrions dans le vif du sujet…
Hubert, peux-tu te présenter ainsi que ton magasin ?
Bien sûr, je m’appelle Hubert Corman (ouf c’est bien lui ! ) et je suis actif depuis 1984 chez Corman & Collins, situé à Battice, près de Liège, en Belgique. C’est une société familiale depuis 1965 qui a fêté ses 50 ans en 2015. (Après vérification, le calcul est effectivement exact 🙂 )
Nous avons développé une activité spiritueuse au départ des années 80 avec notre nouvelle boutique. Nous nous sommes concentrés sur des alcools de haut niveau tel que le whisky, rhum, cognac ou calvados en travaillant avec de maisons prestigieuses et méconnues dans le but de les faire découvrir au grand public.
Aujourd’hui, une épicerie fine fait également partie de notre magasin avec le même principe : des produits de qualités que nous choisissons spécifiquement.
Nous sommes spécialisés également dans la dégustation, l’analyse de vieux collectors, l’expertise, le rachat de collection et les ventes d’exception.
Quand as-tu commencé dans l’univers des spiritueux ?
L’histoire des spiritueux, au sein de la société, ne commence qu’à partir des années 80 où nous avions une gamme relativement basique, assez standard. Nous avons ensuite voulu nous spécialiser dans le domaine.
C’est ainsi que nous avons donc commencé à travailler uniquement avec des petits producteurs et là, BOUM ! Un vrai coup de cœur : Le Glenmorangie 1971. Ce whisky découvert lors d’une dégustation fut notre révélation. On s’est tous regardés en lâchant un « waaawww » incontrôlable tellement la surprise était belle. C’est ainsi qu’on a décidé de vendre des whiskys de haute qualité.
Nous avons débuté avec des vieux millésimés provenant de vieilles distilleries. Nous avions un préférence pour des versions mythiques telles que Bowmore, Vieux Arberg, Gordon MacPhail qui aujourd’hui, sont très recherchées.
A l’époque la marque la plus connue et la plus variée, c’était Gordon MacPhail. Nous l’avons commercialisée dans une très large collection et avec de très vieux embouteillages.
Pour ce qui est des autres maisons, des sociétés belges étaient capables de nous fournir les références que l’on souhaitait. Au fil du temps, nous avons donc développé notre gamme de produits.
Les clients venaient chez nous pour trouver ce qu’ils ne trouvaient pas ailleurs.
Cela a fait des émules et fin des années 90, nous avons passé un cap. Nous sommes devenu importateur et distributeur pour des marques et des maisons.
A l’heure actuelle, nous continuons dans cette voie mais dans une moindre mesure. Nous avons voulu une certaine indépendance et nous sommes détachés de certaines marques.
Nous recherchons plutôt les meilleures offres à travers l’Europe pour ensuite le vendre dans notre magasin.
Peux-tu nous raconter un grand moment dans ce monde ?
Ouh…je n’en ai pas qu’un en fait !
Comme je te l’ai dit, le déclic est ce Glenmorangie 1971 mais tout au long de ces années, nous avons eu la chance d’être là au bon endroit, au bon moment pour déguster des spiritueux fabuleux.
Une de nos grandes fiertés, c’est d’avoir embouteillé des alcools, à notre propre compte. Nous l’avons fait par envie et pas par obligation. Les résultats étaient plutôt encourageant. En plus d’acquérir de l’expérience dans l’embouteillage, nous fîmes des rencontres intéressantes, beaucoup de partage et c’est ainsi que plusieurs opportunités sont nées. Et lorsque nous rencontrions des personnes qui étaient dans la même optique, la sauce prenait plutôt bien.
Nous avons embouteillé depuis le début pas loin d’une centaine de fûts…. principalement de whisky mais aussi des rhums bien entendu.
Qu’est-ce qui te fait vibrer dans les spiritueux ?
J’ai une tendresse particulière pour les whisky, les vieux Lowland, les Rosebank, Magdalene, Bladnoch, qui sont pour moi des distilleries présentant beaucoup de subtilités. Ces maisons sont méconnues or il y une vrai finesse, une élégance dans leurs embouteillages.
Pour le rhum, je n’ai pas de maison particulière, que des coups de cœur !
Comment vois-tu l’évolution du rhum durant les prochaines années ?
J’en discutais pas plus tard que la semaine passée avec un ami où nous nous rappelions les années 2002-2003, où le whisky commençait à éclater et où on a vu les ventes de Single Malt exploser. En Belgique, on est passé rapidement de quelques milliers de bouteilles à une gamme de 700 à 800 références sur le marché.
En tant que distributeur, nous étions déjà présent. Nous avons participé à cela. Lors d’une réunion, je me rappelle qu’on m’a demandé : « Hubert, quel est pour toi le prochain spiritueux qui va sortir sur le marché? «
J’ai répondu : « Le rhum, incontestablement car celui-ci à une histoire, il a quelque chose à raconter. C’est riche, pas très connu, mais l’évolution sera rapide ».
Aujourd’hui le rhum est bien installé, il a fait ses maladies comme on dit. C’est une vrai challenger dans les eaux de vie qui va prendre une place importante dans les rayons.
Cela n’est pas sans conséquences. Comme les distilleries ne se sont pas rendues compte directement de cette évolution, elles ont embouteillé, à des prix dérisoires, des choses qui auraient pu être une source de collection. Du coup, maintenant, chaque maison revoit ses tarifs.
Pour le whisky, à une certaine époque, des grands groupes dans le monde ont chargé 2-3 personnes de checker les réactions du marché et les réseaux de vente. L’évolution des prix fut constatée ; une version vendue à 150€ pouvait être revendue plus tard pour 600€. Suite à cela, ces distilleries se sont dit que si le acheteurs pouvaient mettre 600€, autant proposer le produit directement à ce tarif. Ce fut l’escalade. Aujourd’hui, certaines bouteilles se vendent directement à 3000€.
Dans le monde du rhum, ce phénomène existe déjà mais on en est pas encore au niveau du whisky forcément. Malheureusement…on y arrivera.
Selon toi, quel serait LE rhum que tu garderais si tu ne devais en avoir qu’un ?
Si je devais garder UN rhum, je choisirais un rhum avec lequel j’ai passé un grand moment.
J’ai pu goûter des références de 1850 à aujourd’hui.
Je garderai un meilleur coup de cœur mais je ne te donne pas de noms…ça pourrait même être un « simple » rhum qui coûte 40€. Mais c’est difficile de choisir.
Quel était ton 1er embouteillage de rhum ? Comment s’est-il passé ?
Mes premiers embouteillages de rhum ont été Clément et JM.
Comme nous distribuions la gamme Clément au début des années 2000, ceux-ci nous ont proposé une visite de leur établissement ; proposition bien vite acceptée, évidement.
Nous nous sommes rendu compte que la distillerie Clément n’existe pas. C’est juste un friche avec des arbres. On était du coup un peu déçu . Tout se passe en fait au Simon mais les chais sont bels et biens actifs.
Comme nous réalisions des embouteillages de whisky, ils ont bien voulu que nous leur achetions un fût, un millésime de années 90’. Nous l’avons embouteillé directement à partir du fût, ici au magasin, pour une journée porte ouverte dans des flacons de 50cl. C’était notre premier embouteillage!
Plus tard, ils nous ont expliqué qu’ils avaient une autre distillerie JM qui était très confidentielle à cette époque mais toujours fumante.
Je me rappelle dire aux gars : « JE VEUX aller voir ça ». Ils m’ont répondu : « Hubert, cela prend 1 heure et demi, c’est de l’autre côté de l’île » !!
J’ai dit que je voulais absolument voir JM. On y est donc allé et le maître distillateur nous a fait une visite. C’est à cette époque qu’ils changeaient la colonne par une toute neuve. En voyant ce changement de colonne et donc de style, j’ai directement demandé un fût.
Ils étaient plutôt réticents à l’idée car ils ne donnent pas les deux marques au même distributeur….mais nous avons tellement insisté qu’on a pu avoir un JM de 5 ans d’âge qui était top pour moi. On l’a embouteillé dans des bouteilles de années 20-30 récupérées dans une faillite et laissées au degré du fût à 47%. C’était notre deuxième embouteillage.
Bien plus tard, il y a eu Long pond 77/82, un Guatemala, Arturo Makasare. Là, le dernier, c’est un port mourant du stock personnel de Sylvano Samaroli.
Ta plus belle réussite niveau embouteillage ?
On a fait des whisky, des rhums, des cognacs, de px, du limoncello…et bien d’autres choses vont arriver.
Les deux plus belles réussites de Corman & Collins sont les suivantes : une dans le whiskys, une dans le rhum.
Dans les whiskys, ce serait le Bowmore 1968 que j’ai acheté en 2005/2006. On compte sur le bout des doigts les négociants qui y ont eu accès. Nous avons embouteillé bien d’autre whiskys, mais celui-là, j’en suis très fier même si je n’ai malheureusement pas gardé de bouteille pour moi. En 10 jours, tout était parti !
Pour les rhums, le Port mourant 2003 est aussi une très grande fierté. Au décès de Silvano, Mme Samaroli s’est tournée vers un proche de la famille pour décider ce qu’elle devait faire des deux derniers fûts du stock privé de son défunt mari. Elle s’est donc adressée à Manuel Dron. J’étais ami depuis vingt ans avec lui qui est maintenant de l’autre côté du globe. Il m’a proposé de faire l’embouteillage ensemble.
Ce fut, en plus d’être une belle histoire d’amitié, une sélection topissime !
Le blog à Roger c’est pas le truc le plus sérieux du monde. Aurais-tu un sujet sympa ou anecdote à nous raconter ? Hormis ma bière qui a explosé dans ton magasin….
Hahaha, oui effectivement c’était « comique » cette histoire de bière.
Sinon, c’est pas simple comme question. Des anecdotes, j’en ai tous les jours.
J’aime vraiment les dégustations à l’aveugle. Cela permet d’avoir une approche différente et de voir un groupe nager, se creuser la tête pour découvrir ce qu’ils goûtent alors que la plupart du temps, ils l’ont déjà dégusté. C’est très drôle et intéressant…
Sinon les classiques : « j’aimerais un rhum tourbé » « Auriez vous un rhum pour mon mari connaisseur de rhum dont le préféré est un Don papa », suivi des gens qui viennent pour un rhum des années 60 avec une budget de 50€. C’est mignon.
Ha oui ! Une dame ce matin qui voulait un assortiment de 3 bouteilles de spiritueux pour 30€. Pas mal non plus dans le genre !
Une dernière chose à ajouter ? Un petit scoop peut être ?
Oui…un petit message concernant Facebook. C’est une source intéressante et très riche d’informations mais il faut faire attention car il y a vraiment tout et surtout n’importe quoi sur les réseaux sociaux. Des pseudos spécialistes qui affirment tout et son contraire. Faites bien la part des choses et ne prenez surtout pas tout pour argent comptant.
Et dernière chose, depuis 25 ans que je travaille dans le domaine, j’ai croisé des milliers de gens venus d’horizons et d’univers totalement différents, des profils jamais identiques. Je suis toujours étonné du message réunificateur que peut avoir un spiritueux. Ce sont des produits de partage et de plaisir. Alors difficile d’agir contre la spéculation mais s’il vous plaît, continuez à échanger, discuter, partager, déguster… c’est l’essence même des spiritueux !
Sinon…. tu veux un scoop c’est ça ?
Allez, je te donne deux noms pour un probable prochain embouteillage : Belize OU Hampden.
Merci Hubert et bien vite la suite !