La Favorite

Après un très belle rencontre en Martinique, faire une interview de Franck et Emmanuelle de La Favorite me semblait être une évidence.

Ayant pas mal d’affection pour cette distillerie, je suis du coup très honoré de pouvoir vous proposer cette petite interview sur le blog et ainsi épingler La Favorite à mon palmarès !


Pouvez-vous, brièvement, retracer l’histoire de la distillerie avec les moments clés et votre philosophie ? Quel est votre production actuelle et vos principaux marchés.

La Favorite a été d’abord une sucrerie aux XVIII° et XIX° siècles, fondée en 1842, elle a été la propriété de deux familles.

Henri Dormoy rachète l’usine et son domaine de plus de 600 hectares en 1905, il développe la production de rhum agricole, modernise la distillerie en acheminant notamment la Machine à Vapeur Marriol, toujours en service de nos jours.

Un des spécificité de La Favorite, sa machine 100% vapeur

Après la première Guerre Mondiale, il construit l’actuel Château, où la Famille Dormoy vivra jusqu’à la fin des années 1960.

Petite anecdote, le Château La Favorite a été construit en même temps que le Château Depaz, avec la même pierre de taille grise importée d’Alsace.

Après le décès en 1938 d’ Henry Dormoy, c’est l’un de ses fils André qui rachètera la distillerie et ses terres.

Il tiendra les rênes de l’entreprise toute sa vie, développera la marque en Martinique, à l’export, et acquerra dans les années 1970 la marque Survi, après la fermeture de la distillerie de Roches Carrées.

Puis, à son décès en 2000, ses 6 enfants prendront sa suite, et perdureront l’histoire familiale, commencée un siècle plus tôt.

Franck, la 4ème génération rejoint l’équipe en 2006, pour reprendre en main l’exploitation agricole, et se former à tous les métiers de la Distillerie.

Une nouvelle dynamique est apportée à la gamme ces 5 dernières années, afin de repositionner La Favorite sur le marché du rhum agricole en plein essor, renforcer les liens entre le producteur et le consommateur à travers une communication simple et humaine, aussi bien sur place, dans les salons et sur la toile.

Vous êtes, avec Neisson (et A1710 ?), la dernière distillerie encore 100% familiale de la Martinique. Est-ce que cela est encore tenable de nos jours ?

Il y a de vraies contraintes liées à cela évidemment, la petite structure que nous sommes n’a pas les mêmes capacités financières que certains de nos confrères, ni les mêmes budget à allouer à la communication et au marketing dans son ensemble.

Mais nous avons de bien belles qualités, auxquelles les consommateurs sont de plus en plus sensibles ; l’artisanat que nous prônons à chaque étape de la production, le fait d’être une entreprise à taille humaine, ce qui facilite les rapports directs, et l’âme qui anime cette marque.

La Favorite touche l’affectif, et nous aimons travailler dans ces conditions et y veiller chaque jour, comme un orfèvre le fait avec un bijou. C’est là notre force, et nous devons continuer à nous battre, car oui la concurrence est rude, pour la conserver autant que possible.

Roger, Emmanuelle & Franck dégustant un vieux la Favorite ’70

Quels sont les plus grandes difficultés auxquelles vous devez faire face ?

Les récoltes sont plus compliquées qu’avant. Il y a encore quelques années, les saisons étaient bien marquées, et le Carême sec et ensoleillé.

Aujourd’hui, nous devons faire face au changement climatique, comme ailleurs dans le monde. Plus de pluie en période de récolte, ce qui entraîne une baisse du rendement à l’hectare, et donc une hausse du coût de production.

Par ailleurs, la distribution n’est pas chose aisée, notamment à l’export où nous confions notre marque et nos rhums à nos partenaires distributeurs.

Nous sommes une petite entreprise et proposons un rhum de niche, il nous faut donc travailler avec des réseaux souhaitant valoriser l’artisanat, l’entrepreunariat familial et l’AOC Martinique (qui ne représente que 2% à peine de la production mondiale de rhum).

Votre gamme comporte du classique et du premium. Comment voyez-vous l’évolution de cette dernière ? La privilège n’existe plus, les flibustes diminuent en âges. L’avenir est dans les millésimes plus jeunes comme les 2008 et 2009, le blanc premium bel’air et des sorties plus confidentielles comme la Brière de l’Isle ?

Sommes-nous à un moment charnière chez La Favorite avec une refonte de la gamme « premium » ? (pour moi, une « cuvée à Roger » devrait voir le jour mais bon, ça reste mon avis… 😊 )

La gamme classique des Coeur de Canne, Coeur d’Ambre et Coeur de Rhum a sa place, elle touche une consommation festive et régulière, et c’est sur cette gamme que nous pouvons assurer un certain volume.

La gamme premium est plus spécifique de part les techniques et les petites quantités. Elle touche un consommateur plus averti, et en recherche de dégustation pure. C’est avec cette dernière que nous allons explorer plusieurs techniques innovantes pour nous, et proposons une offre plus complexe.

Ensuite, le rhum blanc, qu’il soit issu d’un assemblage classique ou d’une sélection variétale et parcellaire, est un produit important, il représente à La Favorite 80% de notre volume annuel. Et ce sont de magnifiques rhums, ils exprime le terroir, le travail agricole et la base de tout vieillissement.

Les rhums vieillis eux reflètent une autre palette aromatique, complètement différente de celle des blancs. Ils sont l’oeuvre de l’investissement, de la patience, et de la maîtrise du temps.

Chez nous, ils représentent 20% du volume, soit près de 2 400 fûts et 6 foudres.

La gamme premium a en effet été restructurée ces 4 dernières années. Et c’est avec plaisir et passion que nous travaillons quotidiennement pour offrir une symbiose entre la marque de fabrique du producteur, la griffe qui signera ses rhums, et les attentes de nos consommateurs. Un équilibre entre l’offre et la demande en somme.

Le marché du rhum agricole me semble être en plein boom. L’émergence de plusieurs pages Facebook, de groupes de dégustations, de blogs n’y étant pas étranger.

De plus en plus de demandes pour des stocks qui ne sont pas extensibles. Êtes-vous touché par cela au même titre que vos confrères martiniquais ? Une hausse des prix comme on le voit partout est-elle d’actualité chez vous ?

En effet, le marché du rhum agricole est en pleine croissance, et c’est tant mieux !

La visibilité offerte par vous, les passionnés et autres amateurs, et la place accordée à La Favorite nous permet d’être découvert, et pour cela nous vous en remercions.

L’essor du rhum agricole est en partie dû aux réseaux sociaux. La demande est croissante, mais l’offre sur les très vieux rhums notamment n’est pas extensible oui.

Nous ne pouvons que préparer l’avenir en mettant plus de rhum en vieillissement.

A La Favorite, la hausse des prix que nous appliquons n’est pas dû à cette augmentation de la demande, mais plutôt aux coûts de production qui augmentent, et cela dès la récolte.

L’aoc existe depuis plus de 20 ans maintenant, comment voyez-vous l’évolution de celle-ci. N’a-t-elle pas trop tendance à bloquer certaines ‘expérimentations’ comme les finitions, les ‘sauces’ comme pratiqué à l‘époque, les durée de fermentations etc ?

L’AOC a été un projet souhaité et mené par les producteurs eux-mêmes pendant plus de 20 ans.

Le cahier des charges a été créé de façon à produire des rhums terroirs, le plus représentatif d’un savoir-faire et d’une appellation définie. Il n’est pas figé et est fait d’intervalles à chaque étape, ce qui permet une largesse au producteur.

Il est évident qu’on ne peut pas vouloir revendiquer un produit typique d’une région, et en même temps s’éloigner de cette typicité.

Les producteurs de Martinique ont fait le choix de valoriser la région et de proposer une qualité issue d’un terroir, pour se différencier des autres rhums produits dans le monde.

Mais cela ne nous empêche pas, si nous le souhaitons, de créer un produit sans AOC. Comme notre cuvée La Créole, rhum blanc produit pour les 10 ans de la boutique Christian de Montaguère, à partir de la canne Créole « pain épi lèt’ ».

Comment voyez-vous l’avenir de La Favorite dans les prochaines années ?

Rester une entreprise familiale et artisanale, autant que possible. Et continuer à travailler comme nous le faisons, avec passion et dévouement.

Se remettre en question chaque jour, pour tendre vers une qualité toujours plus optimale.

Rester vrais. Ressentir l’affection que les amateurs ont pour notre marque, et le plaisir qu’ils ont à déguster nos rhums.

La petite structure que nous sommes a encore une belle marge de progression et nous espérons participer encore longtemps au développement de son succès, en Martinique et à l’internationale, pour perdurer avec fierté et humilité le travail entrepris par mon arrière grand-père il y a plus de 100 ans.

Souhaitez-vous profiter de l’exposition « incroyable » que cet interview va vous offir pour nous donner un scoop ? Sinon je vous laisse le mot de la fin.

Je tiens déjà à te remercier pour cet interview et ton intérêt pour notre production.

Nous espérons tout d’abord une belle récolte 2019, pour continuer notre travail de sélections parcellaires. Nous prévoyons dans quelques mois la sortie de deux nouveaux rhums vieux hors d’âge, dont un en hommage à ma grand-mère.

Un superbe assemblage, mais je n’en dit pas plus.

Avant cela, nous aurons pour la deuxième année consécutive la joie d’accueillir la goélette « Tres Hombres », qui s’arrête en Martinique pour embarquer quelques fûts de rhums, dont un lot à destination des Frères de la Côte.


La Favorite, « La cuvée à Roger »

Entre le moment des premières questions et la réalisation de l’article, mes copains ont réussis à bien me surprendre pour mes 40 ans.

En effet, ceux ci n’ont ni plus ni moins que demandé à Emmanuelle de me préparer une bouteille spéciale pour mon anniversaire. Et cela sans savoir que la question avait déjà été évoqué pour le délire dans cet interview.

De ce qu’on m’a dit, la réponse est tombée dans le deux minutes: « ok on gère ! » alors que La Favorite ne fait pas ce genre de chose et ne compte pas le faire… Cela est donc encore plus « waw » !

J’ai donc reçu, début janvier, une bouteille unique préparée de façon tout aussi unique par Emmanuelle, avec étiquetage spécial et contenu inédit.

Titrant 48.5%, il s’agit d’une « verticale assemblée » de 3 millésimes:

  • 2008
  • 2009
  • 2010

Quand même nettement plus classe comme terme que « blend » non ? Le charme jusqu’au bout de l’étiquette 🙂

Assemblage unique, bouteille unique !

Couleur: acajou, plutôt gras.

Nez: doux, chocolaté, fruité et boisé. Particulièrement parfumé, celui ci est très agréable.

La banane, la pomme verte, un fin boisé, un côté rancio, du caoutchouc, de l’eucalyptus ainsi que quelques épices dont le poivre blanc et la muscade sont les principaux marqueurs de cette « Verticale Assemblée ».

Directement, les souvenirs de l’odeur caractéristiques des chais de La Favorite reviennent à mon bon souvenir. Ce mélange de bois où le temps a bien fait son oeuvre, de rhum en pleine maturation, de poussière comptant les années…

Les 48.5% sont très délicats et remarquablement intégrés.

Bouche: le peps en entrée de bouche est vraiment très agréable, cela n’est pas toujours habituel sur un vieux La Favorite et cela apporte une belle fraicheur et un aspect aéré. Il y a de la puissance mais cela reste délicat.

Les première effluves sont marquées par l’empreinte du bois qui nous apporte des tannins, du chocolat amère et de la vanille.

S’en suit directement le fruité de la banane et l’acidité de la pomme granny ainsi qu’un côté floral.

La finale est plutôt soutenue sur la réglisse et les épices types muscade.

Prix: cette bouteille n’a pas de prix bien entendu.

Conclusion: un La Favorite très frais, vivant, fruité, boisé et surtout très généreux, tout à l’image de la distillerie.

Vous dire que ce jus est magnifique n’aurait aucun sens, tellement le côté subjectif entre en jeux.

Mais je peux vous dire objectivement, que c’est une réussite, comme les trois millésimes qui la compose.… après lui donner une note est juste impossible, voire indécent.

Note: 😍😍/20

Je vous laisse avec une petite galerie du précieux…